Ressources documentaires

Le Haut-Jura présente une histoire et une identité singulières. Ici, le peuplement est tardif et les générations d’artisans-paysans se succèdent en adaptant et en renouvelant leurs productions au sein d’exploitations familiales.

L’industrie sans usine

Dans le Haut-Jura, l’industrialisation se fait en douceur, sur le mode de l’accumulation de progrès ingénieux. Malgré les conditions particulièrement rudes, des hommes s’installent le long des cours d’eau à partir du 16e siècle, par acensement* de terrains auprès de l’abbaye de Saint-Claude. L’utilisation de l’énergie hydraulique, via des moulins et martinets, offre aux pionniers qui colonisent ces espaces montagneux les moyens de leur survie : elle leur permet de fabriquer clous et tavaillons nécessaires à l’isolation de leurs habitations.

L’acquisition et la transmission du savoir-faire se font par l’observation et la pratique, dans des productions à forte valeur ajoutée et à fort débouché. Petit à petit, les générations d’entrepreneurs se succèdent, rivalisent et s’entraident pour maîtriser leur territoire. Des généalogies célèbres voient le jour, donnant parfois le nom de leur famille au village où ils s’implantent, comme la famille Morel qui finira par donner son nom à la ville de Morez.

Une culture naît, éloignée des grands centres de pouvoir économiques et politiques et cultivée grâce à sa maîtrise de savoir-faire techniques peu répandus à l’époque et à l’art du négoce, indispensable pour valoriser les productions !

Les « rouliers* » partent sur les routes du sud pour rejoindre Genève, Lyon et l’Italie ou sur les routes du Nord pour diffuser les produits finis vers Paris. À l’étranger, ils assurent la promotion et la renommée des productions du Haut-Jura et de retour au pays, ils tiennent informés les artisans des attentes de la clientèle et des évolutions du marché.

Les artisans à domicile s’adaptent en permanence aux nouveaux débouchés et mobilisent leurs savoir-faire pour faire évoluer leurs productions. Les générations d’horlogers puis de lunetiers succèdent aux générations de cloutiers, dont l’activité perdure tout de même jusqu’au 20e siècle.

Atelier de forge à domicile photographié à La Mouille. La ventilation permettant d’attiser le feu dans le foyer. Le long des cours d’eau du Haut-Jura, les forges étaient alimentées par l’énergie hydraulique. À la Mouille, les soufflets de forge étaient actionnés par des roues à chiens, dans lesquelles des chiens se mouvaient (photo : Vincent Vallée, février 2022)

2021-clous-forge-marteau-domicile-mouille-ferme-rocheblanche-rixouse-haut-jura

Clou en fer forgé, par un forgeron de la Mouille (photo : Vincent Vallée, février 2022)

Rocheblanche, un site atypique

Le site de Rocheblanche s’inscrit dans cette histoire haut-jurassienne, tout en présentant des singularités qui semblent en faire un lieu très atypique.
Le site se trouve à 12 km au sud-ouest de Morez, à 468 mètres d’altitude, à proximité de la rivière Bienne. 732 mètres de dénivelé le séparent de la source du bief de la Chaille, premier affluent de la Bienne. Entre ces deux points, 30 km de cours d’eau à forte pente (2,5 mètres par 100 mètres) offrent une énergie fiable sur un site facilement aménageable pour les moulins du fait de l’étroitesse de la vallée (Olivier, 2004). La première colonisation du site a lieu à la fin du Moyen Âge, avec la construction d’un premier moulin dit de « Bondiélange ».

Au 19e siècle, le site voit l’implantation d’une industrie de grande ampleur, avec la création par Ruty et Ogier en 1819 d’une tréfilerie et d’une grosse forge utilisant l’énergie hydraulique. On y « tréfile » des métaux : on tresse des fils de fer sur eux-mêmes pour les rendre plus solides et permettre leur emploi dans la découpe de pierres de carrière par exemple.

Plus d’une centaine d’ouvriers, dont une grande partie de bûcherons, travaillent sur le site à son apogée. Cette activité est toutefois éphémère et malgré la grande diversité d’activités qui se succèdent sur le site jusque dans les années 1930 (papèterie, lunetterie, clouterie, tournerie, taille de diamants, fabrique de mesures linéaires…), le site de Rocheblanche retombe petit à petit dans le calme qui le caractérise aujourd’hui.

pont-usines-rocheblanche-rixouse-patrimoine-debut-20-eme
Pont et usines de Rocheblanche, au début du 20e siècle (collection personnelle)
Rocheblanche-rixouse-AD-Doubs
Site de Rocheblanche sur une carte postale, date inconnue (Archives départementales du Doubs)
usines-rixouse-logements-ouvriers-patrimoine-ferme-rocheblanche
Anciens logements ouvrier, site de Rocheblanche (photo privée, mai 2022)

Vocabulaire

*Acensement : paiement d’une taxe auprès de l’autorité seigneuriale pour exploiter une partie d’un cours d’eau.
Etablissage (horloger ou lunetier) : forme aboutie de l’organisation de la production associant les avantages de la division du travail décrits par Adam Smith à ceux de l’utilisation d’une main d’œuvre rurale abondante. Le plus souvent, cette manufacture dispersée correspond à la domination d’une oligarchie urbaine de marchands-fabricants sur les petits paysans du monde rural alentour. À Morez, au contraire, la ville qui émerge lentement ne domine pas le monde rural ; elle est plutôt choisie par lui comme un relais nécessaire pour l’organisation et la commercialisation de la production.
*Roulage : les rouliers transportent les biens pour les revendre, en suivant les axes naturels et traditionnels constitués par la Bienne, l’Ain et le Rhône. Les rouliers apportent fromage, outils, pipes et horloges vers le midi, le sud-ouest et l’Italie ou l’Espagne. Paris reste la plaque tournante pour le commerce des horloges, avec des débouchés vers le Nord de la France. Les rouliers diffusent également en Suisse. Les marchands moréziens reprennent souvent les réseaux constitués pour l’export des fers et des clous.

Ressources : pour aller plus loin

L’histoire du site de Rocheblanche reste encore à écrire ! Les sources scientifiques sur le sujet sont rares et éparses. Une bibliothèque numérique permettra bientôt l’accès en ligne à des documents inédits, numérisés aux archives départementales de Lons-Le-Saunier.

Les ressources documentaires consultées pour écrire cette page sont mentionnées ci-dessous. N’hésitez pas à nous contacter pour toute information, remarque, témoignage ou enrichissement de la bibliographie. 

  • Dossier Inventaire général – Référence Mérimée IA39000374tréfilerie, scierie, centrale électrique,
  • OLIVIER, Jean-Marc, Des clous, des horloges et des lunettes : les campagnards moréziens en industrie (1780-1914), Éditions du CTHS, Paris, 2004. Disponible dans 61 bibliothèques universitaires. Référence majeure sur le sujet (thèse en Histoire contemporaine soutenue sur le sujet). Détaille les contours de « l’industrialisation douce » propre au Haut-Jura, basée sur une maîtrise des techniques, l’utilisation de l’énergie hydraulique et le travail à domicile.
  • Les forges de Syam (Typologie du vocabulaire lié aux forges intéressant),
  • Les marbreries du Jura,
  • BARJOT, Dominique, CHALINE, Jean-Pierre, ENCREVE, André, La France au XIXe siècle, 1814-1914, PUV, 1998 (pour des éléments de contexte),
  • MATHIEU, André, « Les petites industries de la montagne dans le Jura français [article] », Annales de Géographie / Année 1929 / 215 / pp. 439-459. Cite La Rixouse dans l’industrie de la tournerie comme lieu producteur de pipes (tournerie de bois de bruyère importé de Méditerranée, 25 ouvriers), de tournerie de matière plastique (moins de 10 ouvriers) et industrie de fabrique de mesures linéaires (moins de 10 employés)
  • CORTA, Alain, Des usines dans les vallées : l’industrialisation jurassienne en images, 1870-1970, Neuchâtel : Éd. Alphil, 2014. Concerne le Jura suisse mais évoque des éléments intéressants sur les « industries sans usine » du Jura, dans un cadre familiale et propriétaire.
  • GABRIEL-ROBEZ, Bernard, Morez, vallée des entrepreneurs : 1496-2009 : une saga des dynasties industrielles du canton, Impr. Uni-Est, 2009. Disponible à la BNU de Strasbourg. Liste les dynasties d’entrepreneurs à Morez.
  • LHERAULT, Jacques, « La tréfilerie et la câblerie du bourg », dans Visages de l’Ain, Bourg, n°5, janv-fev-mars 1949, p. 35-40, 2 fig., 2 phot. Document non consulté (où se procurer ce document ?),
  • FROTE, Emilie, Les origines de l’usine de Bellefontaine, in Les intérêts du Jura, bulletin de l’ADIJ, n°1, Délémont, 1948, p.11. Document non consulté (où se procurer ce document ?)
  • COMITE POUR L’HISTOIRE ECONOMIQUE ET FINANCIERE DE LA FRANCE, Les images de l’industrie de 1850 à nos jours, Paris, ministère de l’Economie, des finances et de l’industrie, 2002, 198 p. Disponible à la BNU. Une partie sur l’industrie papetière (vues de cuves), mais uniquement de grosses usines (Papeterie d’Essonnes à Corbeil-Essonnes).
  • BELOT, Robert et Pierre LAMARD, Images de l’industrie, XIXe-XXe siècles, ETAI, Anthony, 2011, 224 p.
  • REYNET, Marie-Pierre, Haute-Vallée de la Bienne, Collection Patrimoine, Ed. du PNR du Haut-Jura, 2010, 38 p. Ouvrage d’histoire locale proposant un panorama des sites industriels et d’architectures rurales sur le secteur de la Haute-vallée de la Bienne, de Bellefontaine à Cinquétral. Evoque le site de Rocheblanche à La Rixouse, et s’appuie sur les travaux de Jean-Marc Olivier. Disponible à la médiathèque de Morez.
  • Olivier, Jean-Marc, Une industrie à la campagne, Le canton de Morez entre 1780 et 1914, Musée des techniques et cultures comtoises, 2002, 130 p. Reprise des éléments de la thèse et JM Olivier dans un ouvrage richement illustré. Disponible à la médiathèque de Morez.
  • Serna Virginie. Typologie des moulins. In: Le Cher. Histoire et archéologie d’un cours d’eau. Tours : Fédération pour l’édition de la Revue archéologique du Centre de la France, 2013, p. 193-196. (Supplément à la Revue archéologique du centre de la France, 43)
  • La forêt jurassienne, d’hier et d’aujourd’hui, une chance pour demain. Exposition du Groupement de Promotion et de Productivité Forestières du Jura (GPPF), 20111
  • BICHET, Vincent et Michel CAMPY, Montagnes du Jura, géologie et paysages, Neo Edition, 2009. Ouvrage de référence sur la géologie du Jura. Une double page présente le récif corallien de Valfin-les-Saint-Claude, qui s’est formé au Jurassique supérieur (157 à 152 MA) sur une bande d’environ 20 km x 10 km
  • Géologie du Jura : portail du PNR du Haut-Jura présentant le film « Le temps d’une montagne », de Michel Campy et Vincent Bichet et des ressources complémentaires (échelle des temps géologiques, formation des roches, galeries photo…)
  • Les polypiers. Page personnelle d’introduction à l’étude des fossiles.